Quadratures
Jean-Michel Bardez, piano
Jean-Marc Chouvel, clarinette
Le disque Quadratures fait découvrir un univers de vraie et pure improvisation piano-clarinette comme il en existe rarement. Rajoutant sur certains morceaux une nouvelle couche d’improvisation à la première, Jean-Michel Bardez et Jean-Marc Chouvel, ces deux compositeurs, interprètes, grand harmonistes et poètes nous font vivre la création en temps réel et la découverte de matières sonores en perpétuelle évolution.
Il y a des oppositions qui façonnent notre compréhension de l’Univers. La musique, depuis la plus haute antiquité, se débat symboliquement entre la lyre du divin Apollon et la flûte de l’homme Marsyas. Le piano et la clarinette sont des héritiers de ce clivage. Entre les tables figées de l’harmonie et le souffle de la respiration, entre les angles du clavier et les cercles du tuyau d’ébène, s’exprime un des plus vieux conflits symboliques de l’humanité. Improviser dans cette différence n’a rien d’anodin.
La quadrature du cercle est un célèbre problème de géométrie qui consiste à tenter de construire avec une règle et un compas un cercle de même aire qu’un carré. Ce problème n’a pas de solution à cause de l’irrationalité du nombre π. La musique a connu un problème similaire avec la recherche du tempérament égal, qui n’a pu être résolu qu’avec l’apparition des nombres logarithmiques, eux aussi irrationnels. Cette recherche d’une correspondance entre deux extrêmes est un des enjeux de la série d’improvisations qui fait l’objet de ce CD, comme si par moment le piano cherchait à « être clarinette » et la clarinette à « être piano ». Il ne s’agit pas d’une simple question de mimétisme. Ce problème impossible est l’occasion d’inventer une autre dimension de la musicalité : de passer, si l’on poursuit la métaphore, à l’irrationnel…
La clarinette redécouvre alors dans la résonnance sa nature la plus intime, à la limite de l’émission, entre de nouveaux timbres, des sons multiphoniques et des hauteurs vacillantes. Quant au piano, il s’émancipe parfois de son clavier, redevient cithare, plonge lui aussi dans des univers sonores qui ne lui sont pas familiers. Pour certaines pièces, à l’aide de la technique du studio, il démultiplie ses possibilités sonores. L’enregistrement multipiste permet des décalages de fréquence pouvant aller, suivant les morceaux, du quart au douzième de ton. L’exploration de l’univers des micro-intervalles qui en résulte fait vaciller les repères auditifs, et entraîne l’improvisation dans des paysages émotionnels d’une rare et surprenante beauté.